Re: [Entraîneur] Laurent Batlles >> juin 2023
Posté : 19 nov. 2021, 12:54
En trois ans, Laurent Batlles est passé d’entraîneur d’une équipe réserve en National 2 à entraîneur réputé d’une équipe de Ligue 1 et auréolé d’un titre de champion de France de L2. Il explique comment il a évolué dans sa fonction protéiforme d’entraîneur?
1. Le Management des hommes
«Le fait d’être adjoint des pros m’a permis de faire ou parler différemment avec les jeunes joueurs. Au départ, on est formateur. Avec les pros, on ne l’est plus. En N3 et N2, je considérais mes joueurs comme des professionnels, pas comme des jeunes. Pourquoi? Au bout de la deuxième saison (montée en N2, Ndlr) j’avais prévenu le club que je partirai au bout de la troisième saison. Si je voulais évoluer plus haut et pour visualiser mon avenir, il fallait alors que je me mette dans le fonctionnement d’une équipe pro: l’exigence, la façon de parler, la vie du vestiaire...»
Alors que souvent, dans des centres de formation, l’entraîneur fait office de deuxième papa, Batlles n’avait pas du tout ce rôle. «Je n’ai pas voulu. Et puis je m’interdisais de parler aux parents. Quand les joueurs sont en U15, U16, U17, on fait des réunions avec les parents. Du coup, ils considèrent qu’on leur doit ça quand ils passent avec la réserve. Moi, je leur ai dit que c’était fini, je n’allais pas commencer à me justifier sur ci, sur ça, sur l’école… J’ai commencé chez les pros à 16 ans et demi; mon père n’allait pas voir l’entraîneur des pros pour savoir comment ça se passait! J’ai aussi dit «les agents, c’est fini».»
Finalement, le fonctionnement du jeune entraîneur stéphanois n’est pas tellement différent de celui de l’entraîneur troyen confirmé. «Oui, je suis arrivé ici en ayant un fonctionnement que je connaissais. En plus c’était en Ligue 2, l’écart avec la N2 n’est pas énorme. À Saint-Étienne, j’avais des pros comme Jonathan Bamba (aujourd’hui à Lille).» En revanche, l’évolution est plus flagrante cette saison, en Ligue 1. «Il y a des statuts différents, il faut savoir parler avec eux, les connaître.»
Rami, le premier joueur à avoir une plus belle carrière que lui
Il suffit d’aller à l’entraînement pour se rendre compte que l’entraîneur de l’Estac adapte son discours (le ton et le fond) au joueur à qui il s’adresse, et au moment où il s’adresse à lui. «Des joueurs ont plus besoin que d’autres. L’aspect psychologique fait que je peux «taper» sur un joueur. Mais si je «tape» fort sur un cadre, je sais pourquoi je le fais. Par exemple, lors du match d’avant-saison à Metz, Jimmy (Giraudon) rentre et se fait bouger: il n’est pas content (de se faire remonter les bretelles) mais ce n’est pas grave. Il faut montrer que le statut impose certaines choses. En revanche, je ne vais pas toujours hurler sur Adil (Rami) ou sur d’autres car ces joueurs se connaissent, ils savent quand ils sont bons ou pas. Nassim (Chadli) ou Brandon (Domingues) ont besoin de grandir là-dedans. Mais ce n’est pas un problème d’âge.»
Nouveauté cette saison pour le coach troyen: Adil Rami est le premier joueur qu’il entraîne à avoir une plus belle carrière que lui. Cela change-t-il le rapport joueur-entraîneur? «Non, car je suis tombé sur quelqu’un qui s’est beaucoup remis en question et j’ai eu un discours très franc avec lui quand il est arrivé. Je pense que le premier rapport est primordial. On a eu les mots qu’il fallait, des deux côtés. Il a une très belle carrière mais il arrive dans un moment plus compliqué. Il a ici un défi.»
Et puis la légitimité du manager Laurent Batlles, qui était au début surtout tirée de sa carrière de joueur, est aujourd’hui assise sur son image et ses résultats en tant que coach. «Au fur et à mesure que je vais avancer dans ma carrière, les joueurs vont oublier mon passé de joueur. La légitimité d’entraîneur, c’est ce que je propose sur le terrain, les matches, c’est si je fais progresser les joueurs. Malgré tout, à l’entraînement, j’ai encore la chance de montrer des choses sur l’aspect technique. Quand on fait un petit jeu de conservation, parfois je me mets dedans. J’essaye quand même de leur montrer que… voilà! (il sourit) »
2 . Le schéma de jeu
Si, dans des médias nationaux, Laurent Batlles passe souvent pour un entraîneur dogmatique (il a été surnommé Pep Batlles la saison dernière, en référence à Guardiola), il a montré, en trois saisons à l’Estac, qu’il était très pragmatique, n’hésitant pas à changer son organisation tactique en fonction des difficultés rencontrées par son équipe. Et ça, ce n’est pas nouveau. «En N2, les équipes adverses ne savaient jamais comment on allait jouer. Car en fonction de l’effectif que j’avais, de l’adversaire et de ce que je voulais mettre en place, je changeais. Je me souviens d’un match à Saint-Pryvé-Saint-Hilaire, qui jouait en 4-4-2 losange. Je m’étais dit «on va jouer à cinq, on va faire ceci et cela» et au final on en a pris trois! Au match retour, j’ai mis un 4-4-2 à plat avec des supériorités dans les couloirs.»
Tout ça pour dire qu’avec une équipe réserve, loin des caméras, il est plus simple de remodeler son équipe. «Alors qu’en Ligue 2 ou en Ligue 1, il faut donner des repères aux joueurs. La saison dernière, on a trouvé une bonne formule (le 3-4-3 losange). La première année, on avait une formule à cinq qui marchait très bien. Puis Kiki (Kouyaté) s’est blessé, Warren (Tchimbembé) a explosé, on est donc passé en 4-3-3 et ça marchait très bien. Mais je joue en fonction des joueurs et de leurs qualités: on ne joue pas pareil avec Ripart qu’avec Dingomé (en soutien de l’attaquant dans le 5-2-3 actuel). Et on ne peut pas jouer, comme l’année dernière, avec des attaquants dans les couloirs. Ou alors sur une fin de match si on perd, ou si on est plus costauds derrière; mais pour ça, il faut de l’argent…»
Chez les jeunes, plus malléables, il est même nécessaire de bousculer leurs habitudes. «Si on joue en 3-5-2 pendant trois ans, le joueur ne va rien comprendre quand il va partir dans un autre club. Il faut avoir un panel de systèmes qui permet de faire évoluer les joueurs dans de bonnes conditions. Mais encore une fois, tout dépend des joueurs à disposition. Lors d’un match à Blois, j’avais mis Dylan (Chambost, son capitaine en N2) attaquant axial car je n’avais personne d’autre. Avec cinq défenseurs à plat, deux milieux et deux ailiers rapides. Et on a gagné 4-1 là-bas! Ça, je peux le faire sur un coup en N2. Mais de là à le faire avec des pros… J’ai aussi envie d’imposer ma façon de voir les choses, je ne peux pas tout changer. Aujourd’hui, notre système actuel peut évoluer avec un losange au milieu, notamment quand Flo (Tardieu) et Tristan (Dingomé) reviendront; ou encore avec un piston plus offensif que l’autre.»
Pragmatique, pas dogmatique
Grosse différence entre le monde de la formation de des pros, l’apport de la vidéo qui permet d’anticiper beaucoup de choses et donc d’ajuster différentes animations tactiques. «Dans le monde amateur, tant qu’on n’a pas affronté l’adversaire au match aller, on ne sait pas comment il joue. Là, on a Romain (Brottes) et un autre analyste qui est arrivé la semaine dernière. Il n’y a pas de surprise.»
3. La communication
En Ligue 1, Laurent Batlles est forcément davantage sous le feu des projecteurs. «Dans un centre de formation, il y a un directeur du centre qui fait respecter la parole envers les journalistes, un président, un service communication. En plus, on ne demande pas grand-chose au formateur; et puis moins on parle de toi, mieux c’est… (pour ne pas froisser l’orgueil de l’entraîneur principal). »
À l’Estac, Batlles a davantage de liberté de parole, même si nous, journalistes, devons passer par le service communication pour obtenir un entretien. «Vous n’êtes pas nombreux (à suivre l’Estac chaque semaine), mais il faut créer un climat de confiance avec la presse. Il faut donner des choses, parfois rester flou. Je fais aussi attention à ne pas être trop en vue. Car c’est comme sur le terrain: si tu cries tout le temps, on ne t’entend pas. Alors que si tu cries une fois de temps en temps, tu as plus d’impact. Pour la communication, c’est pareil. J’ai beaucoup de sollicitations, mais je ne fais qu’une fois de temps en temps un plateau télé. D’autres entraîneurs se mettent beaucoup en avant là-dedans; moi je préfère me mettre en avant par ma façon de voir le foot, de travailler, les résultats et parfois par une interview.»
Comment il prépare ses conférences de presse
Si l’entraîneur troyen est plutôt un bon communicant, il envisage, à l’avenir, de s’adjoindre les services d’un conseiller en communication. «J’ai été contacté par une personne qui s’occupe déjà d’autres entraîneurs. Je lui ai répondu que je n’en avais pas l’utilité mais je sais qu’à terme, aussi en fonction de la dimension du club, je travaillerai avec quelqu’un sur la communication: les causeries, les conférences de presse…»
Comment celles-ci sont préparées par Laurent Batlles? «Je vois avec Florent (l’attaché de presse) les tendances, je réfléchis à certaines choses. Je regarde aussi les autres entraîneurs, ce qu’ils disent ou non. En fonction du club, le niveau des joueurs et la difficulté des questions s’élève. Pochettino parle de Messi, Neymar, Mbappé et il ne peut jamais parler de football! Mais là où j’ai évolué, c’est dans la conférence de presse d’après-match: je me laisse davantage de temps pour prendre du recul. En sortant de la causerie avec les joueurs, je me mets dans une bulle, cela me permet de parler déjà avec la com’, les dirigeants, mon staff. La saison dernière, on gagnait donc on était dans une sorte de confort. Là, je dois peser le pour et le contre, ne pas parler à chaud, pour ne pas dire de bêtise car un mot peut vite faire déraper un groupe.»
Photo MaxPPP
4. L’entourage
Cet été, Laurent Batlles a engagé un agent, dont il estimait auparavant ne pas avoir besoin des services. La raison? «Engager un agent m’a permis d’éliminer beaucoup de choses. L’année dernière, j’ai été énormément sollicité pour des bêtises, je ne voulais plus être en première ligne.» Mais sollicité par qui? «Dirigeants, clubs, directeurs sportifs, agents, journalistes… Tout cela me polluait. Maintenant, ces personnes passent par mon agent. Je n’ai plus d’appel direct.»
Un agent depuis cet été
Le technicien n’exclut pas non plus de s’associer à d’autres experts pour monter en compétences, comme pour la communication (lire plus haut), lui qui a déjà fait appel à un conseiller en patrimoine. «Un avocat? Je connais pas mal de monde mais aujourd’hui, ça reste un besoin ponctuel. Je suis curieux de ce qu’il se passe un peu partout et je dois m’améliorer dans certains domaines. Lesquels? C’est quand tu es dans la difficulté que tu t’en rends compte.»
Sujet sensible chez Laurent Batlles: l’éloignement de son épouse et de ses trois enfants, restés vivre dans la Loire. C’est sa vie privée mais la famille Batlles peut-elle continuer longtemps ainsi? «Aujourd’hui, ce n’est pas facile, admet le père de famille. Il faudra peut-être que ça change à un moment donné. En fonction de là où on sera, ici ou ailleurs, je ne sais pas comment ça sera perçu par ma femme, mes enfants et par moi.»
S’il ne sait pas si son staff technique actuel l’accompagnera dans ses missions futures, souhaite-t-il l’étoffer? «Le groupe City nous a amené une plateforme très intéressante (avec des statisticiens, des scouts…) qui nous permet de voir beaucoup de choses. Moi, je ne veux pas avoir un staff pléthorique car c’est moi qui le gère au quotidien! Il faut que tout le monde puisse exister dans son travail, je n’ai pas envie que mes adjoints arrivent au travail avec la boule au ventre.»
5. Le comportement sur le banc
Après la défaite à Lens, Laurent Batlles a expliqué ne pas avoir pu s’adresser aux joueurs sur le terrain, en raison du bruit dans le stade. Ce contexte, forcément à l’opposé de ce qu’il a connu avec la réserve stéphanoise, modifie son interventionnisme en cours de match. «Oui, en N2, tu peux vite changer les choses, car tu n’es pas impacté par les 50 ou 100 spectateurs. Et puis surtout, chez les jeunes, on ne peut pas leur demander de se prendre en main. Quand un jeune n’est pas bien, de suite il se tourne vers le coach.»
À Troyes, l’entraîneur essaie de «faire comprendre aux joueurs qu’ils doivent ressentir les choses sur le terrain: on est en difficulté là, qu’est-ce qu’on peut faire? Joueur, j’ai connu des équipes qui, si une consigne du coach ne marchait pas, rectifiaient d’elles-mêmes. Cela ne signifie pas qu’on lâchait le coach mais que, pendant un quart d’heure, on arrêtait de faire certaines choses en attendant la mi-temps. Car parfois, l’entraîneur n’a pas le temps d’avoir un impact, par ses remplacements ou autre. À Lens, je sentais mes joueurs un peu perdus mais on est restés dans le même fonctionnement durant toute la première mi-temps. C’est là qu’on doit grandir. Quand la France gagne la Coupe du monde en 1998, le mérite en revient à Aimé Jacquet, avec sa sélection. Mais quand tu vois Les Yeux dans les Bleus, tu constates que les mecs se disent «fais ci, fais ça…».»
D’autre part, quelle relation Batlles tente-t-il de lier avec les arbitres, lui qui est régulièrement repris à l’ordre, voire sanctionné d’un carton jaune? «J’étais beaucoup plus vindicatif avec les jeunes arbitres que maintenant! Pourquoi? En N2, comme pour les joueurs, les arbitres sont en apprentissage. Donc parfois, il y a des décisions que je ne comprenais pas. Par moments, il y avait même des arbitres étrangers, islandais, finlandais… Chez les pros, il y a les caméras, les micros, les arbitres ont plus de bouteille et il y a le VAR. Donc je n’ai pas plus à râler que ça.» Comme tous ses confrères, Batlles râle quand même par moments. Est-ce calculé ou le sentiment d’injustice? «Contre Angers (le but annulé d’El Hajjam qui aurait donné la victoire à l’Estac), j’ai trouvé que c’était injuste. Je l’ai compris après mais sur le moment, c’est dur à accepter car on avait besoin de points. Sur les autres matches, je n’ai pas contesté plus que ça.»
Son look, ses relations avec les arbitres...
Dernière chose: son look. Du N2 à la L1, Laurent Batlles s’est toujours habillé en survêtement le jour du match. «Chez les amateurs, j’étais en survet. On m’a dit «quand tu vas aller chez les pros, il faudra bien t’habiller!». Franchement, je n’en ai pas envie et je n’en vois pas l’utilité. D’ailleurs, beaucoup d’entraîneurs reviennent au survet: Genesio, Sampaoli, Villas-Boas… Je veux vivre la même chose que mes joueurs et leur montrer que je fais partie intégrante du groupe. L’habit ne fait pas le moine, je ne serai pas meilleur en costard. Dans d’autres clubs, peut-être que des demandes sont faites quand tu joues la Ligue des champions, je peux le comprendre. À Troyes, on ne m’a rien demandé, et puis je vois que Guardiola fait ce qu’il veut, il a parfois des tennis et un pull à capuche! Mais je n’ai pas à me différencier de mes joueurs, je me différencie par mon travail, mon statut d’entraîneur. J’essaie de travailler avec humilité, comme je l’ai toujours fait dans ma carrière.»
1. Le Management des hommes
«Le fait d’être adjoint des pros m’a permis de faire ou parler différemment avec les jeunes joueurs. Au départ, on est formateur. Avec les pros, on ne l’est plus. En N3 et N2, je considérais mes joueurs comme des professionnels, pas comme des jeunes. Pourquoi? Au bout de la deuxième saison (montée en N2, Ndlr) j’avais prévenu le club que je partirai au bout de la troisième saison. Si je voulais évoluer plus haut et pour visualiser mon avenir, il fallait alors que je me mette dans le fonctionnement d’une équipe pro: l’exigence, la façon de parler, la vie du vestiaire...»
Alors que souvent, dans des centres de formation, l’entraîneur fait office de deuxième papa, Batlles n’avait pas du tout ce rôle. «Je n’ai pas voulu. Et puis je m’interdisais de parler aux parents. Quand les joueurs sont en U15, U16, U17, on fait des réunions avec les parents. Du coup, ils considèrent qu’on leur doit ça quand ils passent avec la réserve. Moi, je leur ai dit que c’était fini, je n’allais pas commencer à me justifier sur ci, sur ça, sur l’école… J’ai commencé chez les pros à 16 ans et demi; mon père n’allait pas voir l’entraîneur des pros pour savoir comment ça se passait! J’ai aussi dit «les agents, c’est fini».»
Finalement, le fonctionnement du jeune entraîneur stéphanois n’est pas tellement différent de celui de l’entraîneur troyen confirmé. «Oui, je suis arrivé ici en ayant un fonctionnement que je connaissais. En plus c’était en Ligue 2, l’écart avec la N2 n’est pas énorme. À Saint-Étienne, j’avais des pros comme Jonathan Bamba (aujourd’hui à Lille).» En revanche, l’évolution est plus flagrante cette saison, en Ligue 1. «Il y a des statuts différents, il faut savoir parler avec eux, les connaître.»
Rami, le premier joueur à avoir une plus belle carrière que lui
Il suffit d’aller à l’entraînement pour se rendre compte que l’entraîneur de l’Estac adapte son discours (le ton et le fond) au joueur à qui il s’adresse, et au moment où il s’adresse à lui. «Des joueurs ont plus besoin que d’autres. L’aspect psychologique fait que je peux «taper» sur un joueur. Mais si je «tape» fort sur un cadre, je sais pourquoi je le fais. Par exemple, lors du match d’avant-saison à Metz, Jimmy (Giraudon) rentre et se fait bouger: il n’est pas content (de se faire remonter les bretelles) mais ce n’est pas grave. Il faut montrer que le statut impose certaines choses. En revanche, je ne vais pas toujours hurler sur Adil (Rami) ou sur d’autres car ces joueurs se connaissent, ils savent quand ils sont bons ou pas. Nassim (Chadli) ou Brandon (Domingues) ont besoin de grandir là-dedans. Mais ce n’est pas un problème d’âge.»
Nouveauté cette saison pour le coach troyen: Adil Rami est le premier joueur qu’il entraîne à avoir une plus belle carrière que lui. Cela change-t-il le rapport joueur-entraîneur? «Non, car je suis tombé sur quelqu’un qui s’est beaucoup remis en question et j’ai eu un discours très franc avec lui quand il est arrivé. Je pense que le premier rapport est primordial. On a eu les mots qu’il fallait, des deux côtés. Il a une très belle carrière mais il arrive dans un moment plus compliqué. Il a ici un défi.»
Et puis la légitimité du manager Laurent Batlles, qui était au début surtout tirée de sa carrière de joueur, est aujourd’hui assise sur son image et ses résultats en tant que coach. «Au fur et à mesure que je vais avancer dans ma carrière, les joueurs vont oublier mon passé de joueur. La légitimité d’entraîneur, c’est ce que je propose sur le terrain, les matches, c’est si je fais progresser les joueurs. Malgré tout, à l’entraînement, j’ai encore la chance de montrer des choses sur l’aspect technique. Quand on fait un petit jeu de conservation, parfois je me mets dedans. J’essaye quand même de leur montrer que… voilà! (il sourit) »
2 . Le schéma de jeu
Si, dans des médias nationaux, Laurent Batlles passe souvent pour un entraîneur dogmatique (il a été surnommé Pep Batlles la saison dernière, en référence à Guardiola), il a montré, en trois saisons à l’Estac, qu’il était très pragmatique, n’hésitant pas à changer son organisation tactique en fonction des difficultés rencontrées par son équipe. Et ça, ce n’est pas nouveau. «En N2, les équipes adverses ne savaient jamais comment on allait jouer. Car en fonction de l’effectif que j’avais, de l’adversaire et de ce que je voulais mettre en place, je changeais. Je me souviens d’un match à Saint-Pryvé-Saint-Hilaire, qui jouait en 4-4-2 losange. Je m’étais dit «on va jouer à cinq, on va faire ceci et cela» et au final on en a pris trois! Au match retour, j’ai mis un 4-4-2 à plat avec des supériorités dans les couloirs.»
Tout ça pour dire qu’avec une équipe réserve, loin des caméras, il est plus simple de remodeler son équipe. «Alors qu’en Ligue 2 ou en Ligue 1, il faut donner des repères aux joueurs. La saison dernière, on a trouvé une bonne formule (le 3-4-3 losange). La première année, on avait une formule à cinq qui marchait très bien. Puis Kiki (Kouyaté) s’est blessé, Warren (Tchimbembé) a explosé, on est donc passé en 4-3-3 et ça marchait très bien. Mais je joue en fonction des joueurs et de leurs qualités: on ne joue pas pareil avec Ripart qu’avec Dingomé (en soutien de l’attaquant dans le 5-2-3 actuel). Et on ne peut pas jouer, comme l’année dernière, avec des attaquants dans les couloirs. Ou alors sur une fin de match si on perd, ou si on est plus costauds derrière; mais pour ça, il faut de l’argent…»
Chez les jeunes, plus malléables, il est même nécessaire de bousculer leurs habitudes. «Si on joue en 3-5-2 pendant trois ans, le joueur ne va rien comprendre quand il va partir dans un autre club. Il faut avoir un panel de systèmes qui permet de faire évoluer les joueurs dans de bonnes conditions. Mais encore une fois, tout dépend des joueurs à disposition. Lors d’un match à Blois, j’avais mis Dylan (Chambost, son capitaine en N2) attaquant axial car je n’avais personne d’autre. Avec cinq défenseurs à plat, deux milieux et deux ailiers rapides. Et on a gagné 4-1 là-bas! Ça, je peux le faire sur un coup en N2. Mais de là à le faire avec des pros… J’ai aussi envie d’imposer ma façon de voir les choses, je ne peux pas tout changer. Aujourd’hui, notre système actuel peut évoluer avec un losange au milieu, notamment quand Flo (Tardieu) et Tristan (Dingomé) reviendront; ou encore avec un piston plus offensif que l’autre.»
Pragmatique, pas dogmatique
Grosse différence entre le monde de la formation de des pros, l’apport de la vidéo qui permet d’anticiper beaucoup de choses et donc d’ajuster différentes animations tactiques. «Dans le monde amateur, tant qu’on n’a pas affronté l’adversaire au match aller, on ne sait pas comment il joue. Là, on a Romain (Brottes) et un autre analyste qui est arrivé la semaine dernière. Il n’y a pas de surprise.»
3. La communication
En Ligue 1, Laurent Batlles est forcément davantage sous le feu des projecteurs. «Dans un centre de formation, il y a un directeur du centre qui fait respecter la parole envers les journalistes, un président, un service communication. En plus, on ne demande pas grand-chose au formateur; et puis moins on parle de toi, mieux c’est… (pour ne pas froisser l’orgueil de l’entraîneur principal). »
À l’Estac, Batlles a davantage de liberté de parole, même si nous, journalistes, devons passer par le service communication pour obtenir un entretien. «Vous n’êtes pas nombreux (à suivre l’Estac chaque semaine), mais il faut créer un climat de confiance avec la presse. Il faut donner des choses, parfois rester flou. Je fais aussi attention à ne pas être trop en vue. Car c’est comme sur le terrain: si tu cries tout le temps, on ne t’entend pas. Alors que si tu cries une fois de temps en temps, tu as plus d’impact. Pour la communication, c’est pareil. J’ai beaucoup de sollicitations, mais je ne fais qu’une fois de temps en temps un plateau télé. D’autres entraîneurs se mettent beaucoup en avant là-dedans; moi je préfère me mettre en avant par ma façon de voir le foot, de travailler, les résultats et parfois par une interview.»
Comment il prépare ses conférences de presse
Si l’entraîneur troyen est plutôt un bon communicant, il envisage, à l’avenir, de s’adjoindre les services d’un conseiller en communication. «J’ai été contacté par une personne qui s’occupe déjà d’autres entraîneurs. Je lui ai répondu que je n’en avais pas l’utilité mais je sais qu’à terme, aussi en fonction de la dimension du club, je travaillerai avec quelqu’un sur la communication: les causeries, les conférences de presse…»
Comment celles-ci sont préparées par Laurent Batlles? «Je vois avec Florent (l’attaché de presse) les tendances, je réfléchis à certaines choses. Je regarde aussi les autres entraîneurs, ce qu’ils disent ou non. En fonction du club, le niveau des joueurs et la difficulté des questions s’élève. Pochettino parle de Messi, Neymar, Mbappé et il ne peut jamais parler de football! Mais là où j’ai évolué, c’est dans la conférence de presse d’après-match: je me laisse davantage de temps pour prendre du recul. En sortant de la causerie avec les joueurs, je me mets dans une bulle, cela me permet de parler déjà avec la com’, les dirigeants, mon staff. La saison dernière, on gagnait donc on était dans une sorte de confort. Là, je dois peser le pour et le contre, ne pas parler à chaud, pour ne pas dire de bêtise car un mot peut vite faire déraper un groupe.»
Photo MaxPPP
4. L’entourage
Cet été, Laurent Batlles a engagé un agent, dont il estimait auparavant ne pas avoir besoin des services. La raison? «Engager un agent m’a permis d’éliminer beaucoup de choses. L’année dernière, j’ai été énormément sollicité pour des bêtises, je ne voulais plus être en première ligne.» Mais sollicité par qui? «Dirigeants, clubs, directeurs sportifs, agents, journalistes… Tout cela me polluait. Maintenant, ces personnes passent par mon agent. Je n’ai plus d’appel direct.»
Un agent depuis cet été
Le technicien n’exclut pas non plus de s’associer à d’autres experts pour monter en compétences, comme pour la communication (lire plus haut), lui qui a déjà fait appel à un conseiller en patrimoine. «Un avocat? Je connais pas mal de monde mais aujourd’hui, ça reste un besoin ponctuel. Je suis curieux de ce qu’il se passe un peu partout et je dois m’améliorer dans certains domaines. Lesquels? C’est quand tu es dans la difficulté que tu t’en rends compte.»
Sujet sensible chez Laurent Batlles: l’éloignement de son épouse et de ses trois enfants, restés vivre dans la Loire. C’est sa vie privée mais la famille Batlles peut-elle continuer longtemps ainsi? «Aujourd’hui, ce n’est pas facile, admet le père de famille. Il faudra peut-être que ça change à un moment donné. En fonction de là où on sera, ici ou ailleurs, je ne sais pas comment ça sera perçu par ma femme, mes enfants et par moi.»
S’il ne sait pas si son staff technique actuel l’accompagnera dans ses missions futures, souhaite-t-il l’étoffer? «Le groupe City nous a amené une plateforme très intéressante (avec des statisticiens, des scouts…) qui nous permet de voir beaucoup de choses. Moi, je ne veux pas avoir un staff pléthorique car c’est moi qui le gère au quotidien! Il faut que tout le monde puisse exister dans son travail, je n’ai pas envie que mes adjoints arrivent au travail avec la boule au ventre.»
5. Le comportement sur le banc
Après la défaite à Lens, Laurent Batlles a expliqué ne pas avoir pu s’adresser aux joueurs sur le terrain, en raison du bruit dans le stade. Ce contexte, forcément à l’opposé de ce qu’il a connu avec la réserve stéphanoise, modifie son interventionnisme en cours de match. «Oui, en N2, tu peux vite changer les choses, car tu n’es pas impacté par les 50 ou 100 spectateurs. Et puis surtout, chez les jeunes, on ne peut pas leur demander de se prendre en main. Quand un jeune n’est pas bien, de suite il se tourne vers le coach.»
À Troyes, l’entraîneur essaie de «faire comprendre aux joueurs qu’ils doivent ressentir les choses sur le terrain: on est en difficulté là, qu’est-ce qu’on peut faire? Joueur, j’ai connu des équipes qui, si une consigne du coach ne marchait pas, rectifiaient d’elles-mêmes. Cela ne signifie pas qu’on lâchait le coach mais que, pendant un quart d’heure, on arrêtait de faire certaines choses en attendant la mi-temps. Car parfois, l’entraîneur n’a pas le temps d’avoir un impact, par ses remplacements ou autre. À Lens, je sentais mes joueurs un peu perdus mais on est restés dans le même fonctionnement durant toute la première mi-temps. C’est là qu’on doit grandir. Quand la France gagne la Coupe du monde en 1998, le mérite en revient à Aimé Jacquet, avec sa sélection. Mais quand tu vois Les Yeux dans les Bleus, tu constates que les mecs se disent «fais ci, fais ça…».»
D’autre part, quelle relation Batlles tente-t-il de lier avec les arbitres, lui qui est régulièrement repris à l’ordre, voire sanctionné d’un carton jaune? «J’étais beaucoup plus vindicatif avec les jeunes arbitres que maintenant! Pourquoi? En N2, comme pour les joueurs, les arbitres sont en apprentissage. Donc parfois, il y a des décisions que je ne comprenais pas. Par moments, il y avait même des arbitres étrangers, islandais, finlandais… Chez les pros, il y a les caméras, les micros, les arbitres ont plus de bouteille et il y a le VAR. Donc je n’ai pas plus à râler que ça.» Comme tous ses confrères, Batlles râle quand même par moments. Est-ce calculé ou le sentiment d’injustice? «Contre Angers (le but annulé d’El Hajjam qui aurait donné la victoire à l’Estac), j’ai trouvé que c’était injuste. Je l’ai compris après mais sur le moment, c’est dur à accepter car on avait besoin de points. Sur les autres matches, je n’ai pas contesté plus que ça.»
Son look, ses relations avec les arbitres...
Dernière chose: son look. Du N2 à la L1, Laurent Batlles s’est toujours habillé en survêtement le jour du match. «Chez les amateurs, j’étais en survet. On m’a dit «quand tu vas aller chez les pros, il faudra bien t’habiller!». Franchement, je n’en ai pas envie et je n’en vois pas l’utilité. D’ailleurs, beaucoup d’entraîneurs reviennent au survet: Genesio, Sampaoli, Villas-Boas… Je veux vivre la même chose que mes joueurs et leur montrer que je fais partie intégrante du groupe. L’habit ne fait pas le moine, je ne serai pas meilleur en costard. Dans d’autres clubs, peut-être que des demandes sont faites quand tu joues la Ligue des champions, je peux le comprendre. À Troyes, on ne m’a rien demandé, et puis je vois que Guardiola fait ce qu’il veut, il a parfois des tennis et un pull à capuche! Mais je n’ai pas à me différencier de mes joueurs, je me différencie par mon travail, mon statut d’entraîneur. J’essaie de travailler avec humilité, comme je l’ai toujours fait dans ma carrière.»