GRAND FORMAT. Des quartiers nord de Marseille à l’Estac, Youssouf M’Changama a surmonté tous les obstacles
Né dans les quartiers nord de Marseille, passé par le National, la D3 anglaise, l’Algérie et la case chômage, le milieu de l’Estac Youssouf M’Changama, star aux Comores, évoque son parcours cabossé. Un témoignage rare.
Youssouf M’Changama se fait rare dans les médias. « Je n’aime pas trop ça. De temps en temps, il faut faire le pas. Est-ce que je me méfie ? Non. C’est un sport médiatisé, les gens veulent nous connaître, mais je ne veux pas forcément me livrer, raconter ce que je vis. Moi, j’essaie de transmettre des émotions positives sur le terrain. Le reste, c’est ma vie privée. Je préfère la garder pour moi. »
Pourtant, la semaine dernière, durant une heure, le milieu de terrain troyen, tout juste nommé joueur du mois d’octobre, s’est livré sans compter, ni le temps, ni les mots. Car l’homme de 34 ans, qui fixe le regard de son interlocuteur en continu, est un grand bavard, surtout quand il se met à décrypter le jeu, le sien ou celui des autres.
Youssouf M’Changama se fait rare dans les médias. « Je n’aime pas trop ça. De temps en temps, il faut faire le pas. Est-ce que je me méfie ? Non. C’est un sport médiatisé, les gens veulent nous connaître, mais je ne veux pas forcément me livrer, raconter ce que je vis. Moi, j’essaie de transmettre des émotions positives sur le terrain. Le reste, c’est ma vie privée. Je préfère la garder pour moi. »
Pourtant, la semaine dernière, durant une heure, le milieu de terrain troyen, tout juste nommé joueur du mois d’octobre, s’est livré sans compter, ni le temps, ni les mots. Car l’homme de 34 ans, qui fixe le regard de son interlocuteur en continu, est un grand bavard, surtout quand il se met à décrypter le jeu, le sien ou celui des autres.
Ballon en mousse, bras en l’air… : les secrets de ses coups de pied arrêtés
Youssouf M’Changama, réputé pour la qualité de ses coups de pied arrêtés, explique comment il a acquis cette technique de frappe particulière, flottante et puissante à la fois. « J’ai commencé à la travailler en arrivant à Sedan. À l’époque, on voyait tous Juninho. Un coéquipier de Sedan frappait de la même façon mais ne voulait jamais me montrer comment il faisait. Un jour dans la chambre, il m’a juste montré le geste avec un ballon en mousse. Il m’a dit « je fais comme ça, maintenant tu te débrouilles avec ça ». Après, comme un fou, je voulais tirer comme eux. Je regardais des vidéos de Juninho, la position de son corps. Je regardais aussi Pirlo, qui a un corps fin qui ressemble au mien. Avec peu d’élan, il arrivait à mettre de la force et envoyer une trajectoire incroyables. Toute l’année, j’ai travaillé ça. C’est d’ailleurs comme ça que je suis monté avec la réserve quand j’étais eu U16. Tout seul, je travaillais mes coups francs le samedi. Un joueur de la réserve s’est blessé, l’entraîneur (Manuel Abreu) m’a appelé pour compléter le groupe. Du coup, je suis passé de U16 à la réserve, en doublant les U18. Ils pétaient un câble ! »
Et d’ajouter : « Un entraîneur m’a beaucoup aidé : Christophe Point, actuellement directeur du centre de formation de Dijon. Les autres parlaient beaucoup de la position du corps, trop en avant ou en arrière. Lui, c’était plus précis : regarder où mettre le pied d’appui, à quel endroit frapper le ballon… Quand ça commençait à prendre, il me disait, en match, de même frapper directement les coups francs près de la ligne de touche. Des fois, on quille le ballon en tribune ; les gens ne sont pas contents. On peut en manquer quatre mais celui qu’on met, c’est un but qui reste et fait oublier ceux qu’on a envoyés sur les pigeons ! »
S’il frappe les coups francs du cou-de-pied (« vers le gros orteil », précise-t-il), le corner, « ce n’est pas la même technique, c’est plus intérieur ».
En revanche, de manière immuable, il lève un ou deux bras avant chacun de ses coups de pied arrêtés, afin de donner des indications à ses partenaires. Lesquelles ? « Ça dépend des matches, et je ne veux pas donner trop de billes à l’adversaire. Mais quand je lève le bras, c’est une histoire de timing : quand je le baisse, les courses partent… »
Dans une petite salle du Stade de l’Aube, le Comorien s’est donc livré comme rarement. Les yeux dans les yeux.
Marseille, une enfance dans les quartiers nord
Le petit Youssouf, né en 1990, est le dernier d’une fratrie de quatre enfants. « J’étais un peu le chouchou, c’est normal ! » La famille M’Changama réside au septième étage d’un immeuble qui en compte dix, à La Savine, un quartier nord de Marseille.
Mais dans l’esprit du Comorien, on est loin des clichés autour de ces quartiers marseillais. « Mon enfance était normale. Ce sont les quartiers nord, c’est sûr. Quand j’ai joué à Marseille Consolat plus tard, c’était à trois minutes ! Tous les amis venaient me voir. »
Le foot a toujours fait partie de la vie du milieu de terrain de 34 ans. « J’étais un enfant qui était souvent dehors, pour jouer au foot. Tout le temps, tout le temps (il répète). Ma mère m’a toujours emmené au foot. Dans tous les tournois. C’est rare pour une maman comorienne. C’était en bus car on n’avait pas de voiture. Ou quand elle ne pouvait pas, c’étaient les entraîneurs qui venaient me chercher car j’avais un bon niveau ! »
À l’école, Youssouf était « assez bon, studieux. Mais c’était l’école du quartier, il y avait quand même un peu de rigolade ! »
Le minot rentre au centre de formation de Marseille. Mais l’aventure tourne court. « À l’OM, nous les Marseillais, on n’avait pas de contrat, c’était toujours des conventions, payées certes. Ils se projetaient plus sur les joueurs qui venaient de l’extérieur. J’ai fait un test à Sedan, avec mon agent de l’époque, Dominique Barbera. »
Le test est réussi, les premières difficultés surmontées. Direction les Ardennes et le château de Bazeilles.
Sedan, l’apprentissage du métier… et de la vie
Youssouf a 15 ans quand il débarque dans les Ardennes. Le CSSA, qui vient de remonter en L1 un an après une finale en Coupe de France (2005), surfe sur ses années prestigieuses. « Il y avait un Comorien, Nadjim Abdou, Belhadj, Noro, Regnault dans les cages. Une belle équipe ! »
Avant de toucher du doigt au monde pro, M’Changama et son accent du sud doivent déjà se faire à la vie loin de Marseille… et à la personnalité des Parisiens (qui sont assez nombreux au centre de formation sedanais). « Avant, je ne sortais jamais de Marseille, soit dans mon quartier soit chez mes cousins. Ce n’est pas facile de partir tôt de chez soi. En plus du foot, je passais le BPJeps, donc je n’avais pas de vacances. Je ne rentrais pas chez moi, j’étais le seul dans ce cas ! Les Parisiens, je les trouvais plus matures que nous. Nous, on aime bien s’amuser, on a des objectifs mais tranquille ! Eux, ils n’étaient pas là pour s’amuser, ils savaient où ils voulaient aller. »
Mais le Marseillais sait aussi où il veut aller : chez les pros. À Sedan, il atteint la réserve, dont il est un temps le capitaine. M’Changama va donc tenter sa chance ailleurs, mais pas très loin : à Troyes.
L’Estac, un premier passage mitigé
En 2010, M’Changama intègre la réserve troyenne, en CFA 2. Cette même année, il fait ses débuts avec la sélection comorienne. Un bien pour un mal. « Les trêves internationales, normalement c’est l’occasion de monter avec les pros, de faire des matches amicaux. Quand j’étais revenu, Jean-Marc Furlan m’avait demandé où j’étais passé ! En fait, aller en sélection, ça m’avait porté préjudice à cette époque car je n’avais pas pu me montrer. Par exemple, ça avait profité à “Baret” (Mickaël Barreto), qui avait pu ensuite rester plus souvent avec les pros. »
Le milieu offensif ne jouera jamais avec l’équipe fanion. Malgré tout, ce premier passage dans l’Aube reste « une bonne expérience », notamment sur le plan humain. « J’avais une chambre à la préformation. Je restais avec Sacha Petshi, dont je suis resté proche, comme Djibril (Sidibé). Il y avait aussi Abdou Touré, Ali Lebrazi ; ils sont encore là, ce sont comme mes frères. » Qu’il retrouvera treize ans plus tard…
Au chômage… et de retour à la maison
Le jeune M’Changama n’en démord pas, il veut jouer avec les pros. « Je voulais jouer minimum en National. À l’époque, c’était plus difficile ; pas comme maintenant, où tu peux sortir du centre de formation et directement aller en National. »
Persévérant, il fait des essais à Bayonne, à Besançon… mais se retrouve sans club et repart vivre chez sa maman. « Je n’ai pas douté, je croyais en moi, en ce que Dieu m’avait donné. Je savais qu’avec de la patience et des efforts, ça allait payer. Parfois, je faisais trois entraînements par jour : un très tôt le matin, un vers 10 h, et un avec le soir avec Gardanne (CFA 2, à 25 km de Marseille). Si j’intégrais un club, je ne voulais pas avoir de retard. »
Car Youssouf ne se voit pas faire autre chose. « J’allais pointer au chômage à Pôle emploi, je faisais des stages. Je me rappelle me retrouver à un stage avec des grands de mon quartier. Ils parlaient de formations mais ça n’avait rien à voir avec ce que je voulais. Je leur ai dit que je voulais jouer au foot. Après, en faisant un courrier, ils avaient accepté de me dispenser de ces réunions pendant un moment. »
Finalement, prêt à tout pour atteindre son rêve, M’Changama signe une licence (pas un contrat pro) à Oldham, en D3 anglaise ! « Le coach m’a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de moyens. Je lui ai répondu que je voulais juste signer pour jouer avec des pros. » Le voilà dans le grand bain du foot anglais.
Oldham, déjà pas très loin de Manchester
De la Provence, le Comorien passe au nord de l’Angleterre, en mars 2012. Pas trop brutal ? « Non, j’ai kiffé. Les gens vont au stade en famille, ça chambre, il y a peu d’insultes. Ou alors il y en avait mais je ne les comprenais pas ! »
« J’étais à vingt minutes de Manchester, on profitait le mercredi, qui était off. Par contre, lundi, mardi, jeudi et vendredi, c’était très intense. Pas de mise au vert, match à 15 heures, rendez-vous à 13h15 ! Je dormais dans une maison mise à disposition. On était deux, avec mon ami d’enfance Bradley Diallo. Au final, ça s’est vite bien passé. »
Malgré un gabarit pas très « british », M’Changama s’adapte vite au « kick and rush » de la D3. Parce qu’il s’y était préparé. « J’ai surtout appris la culture du deuxième ballon. Nassim Abdou, qui jouait à Milwall, m’a dit en premier “Il y a beaucoup de jeu long, tu dois te concentrer sur les deuxièmes ballons”. Pour les gagner, il n’y a pas besoin d’être très musclé. C’est comme au basket, il faut analyser où le ballon va tomber, avec quel timing, ton attaquant gagne-t-il les duels où gêne-t-il juste le défenseur... »
Convaincant (il joue dix matches en trois mois), le milieu repart pour un an. Mais se blesse au genou en janvier. Sa première (et unique) grave blessure. Une nouvelle difficulté…
L’Algérie, la parenthèse familiale
En juin 2013, le joueur signe au Raed club Arba, promu en D1 algérienne. « Je ne me suis jamais dit que j’allais jouer en Algérie. Je m’étais blessé en Angleterre en janvier. Puis j’ai eu un décès dans ma famille. C’est comme ça que je me suis retrouvé là-bas. En Angleterre, je pouvais aller ailleurs mais je devais faire des essais. Je venais d’avoir ma fille, je n’étais pas prêt à faire certaines choses. C’était une petite transition familiale, mais je savais que ce n’allait pas m’enterrer pour le foot. D’ailleurs, de ce côté, ça s’est bien passé mais c’était plus compliqué sur l’aspect économique. Donc j’ai préféré rentrer en France. »
Retour à la case départ, le sud de la France, d’abord à Uzès, puis à Marseille Consolat (National) de 2014 à 2016. Un pas en arrière pour faire un bond en avant puisque c’est là, chez lui, que Youssouf M’Changama se fait remarquer en Ligue 2.
Gazélec, Grenoble, la montée en puissance en L2
Au Gazélec Ajaccio, M’Changama découvre enfin la Ligue 2. « Lors de ma deuxième saison à Consolat, je me suis dit que je devais vraiment performer pour aller en L2. Cela a été le cas, j’étais dans l’équipe type de National. Et malgré tout, pour aller au Gazélec, j’ai dû faire trois jours d’essai. C’est là qu’on peut se poser des questions : comment j’étais perçu ? Est-ce parce que je venais d’un club de quartier ? Je ne sais pas car je n’ai jamais eu de problème. Je venais de marquer sept buts et de faire dix passes décisives. D’autres auraient fait la moitié et seraient allés dans n’importe quel club. Mais j’ai gardé confiance en mes qualités car j’étais adoubé par des joueurs comme François Clerc, Jérémie Bréchet. Je l’avais vu à la télé, en Ligue des Champions, il a joué avec Zizou ! »
Après la Corse (2016-2018), M’Changama signe à Grenoble (2018-2019), puis à Guingamp. Son avènement (2019-2022).
Guingamp, l’âge d’or et la rencontre avec Stéphane Dumont
Pour la première fois, M’Changama reste plus de deux saisons dans le même club. « J’aimais tout à Guingamp, c’est une ville qui pue le foot. » Pourtant, ce n’était pas gagné, puisque l’entraîneur Patrice Lair, qui le recrute, part deux semaines plus tard. Heureusement, son successeur Sylvain Didot compte aussi sur le créateur. « Il m’a donné beaucoup de confiance, de liberté. J’en ai besoin pour exister. »
Mais c’est sous Stéphane Dumont, qui prend la relève en 2021, que le Comorien va vivre sa plus belle saison, faisant même partie des cinq nommés pour le joueur de l’année. « La relation est née dès le premier coup de fil. le coach Dumont m’a demandé ce que je voulais faire. Il m’a dit qu’il comptait sur moi, voulait me mettre derrière l’attaquant pour ma qualité de passes, ma capacité à marquer des buts. »
La relation entraîneur-joueur dépasse le strict cadre du terrain. « Il a toujours eu une relation humaine, avec tous ces joueurs, pas qu’avec moi. Ai-je besoin de ça ? Pas forcément. Je veux juste que mes partenaires et moi soyons mis dans les meilleures dispositions pour pouvoir exprimer nos qualités. Pour cela, il faut un peu de liberté. »
Auxerre, le regret de la Ligue 1 ?
Fort de sa superbe saison, M’Changama signe à l’AJ Auxerre, où il devient un joueur de Ligue 1, à 32 ans. « Je l’ai connue assez tard, j’étais fier. Je n’ai pas de regret, je ne regarde pas derrière. Malheureusement, on est descendu à la dernière journée. J’ai fait des bons matches, d’autres moins bons. Quand je me suis blessé, c’est là que le nouveau coach est arrivé. Je suis revenu dans l’équipe, je me suis fait mal à Marseille. (On le coupe pour lui évoquer ce match au Vélodrome) C’était incroyable. Dès que je tournais ma tête, j’entendais mon nom quelque part dans les tribunes. J’ai croisé des gens que je n’avais pas vu depuis dix ans! »
Après la relégation, « le coach Pélissier m’a parlé. Il ne pouvait pas me promettre d’être un titulaire indiscutable en Ligue 2, il préférait d’autres profils. Ça, je peux le comprendre, c’est le football. La suite, je l’ai moins comprise : j’ai été mis à l’écart alors que j’avais un comportement exemplaire. Je suis allé avec la réserve, je me suis régalé avec les jeunes et le coach David Carré. Mais j’ai pris un gros coup au mollet, je n’étais donc pas les meilleures conditions en arrivant à Troyes. »
L’Estac, avant la reconversion?
Il y a un an et demi, M’Changama fait son retour à Troyes. Mais c’est seulement depuis quelques semaines que l’on retrouve le «vrai» Youssouf sur le terrain. « La saison dernière (sous Kisnorbo et Guion), on était trop bridés. On ne peut pas brider les jeunes, ils doivent retrouver leur jeu. »
Avec Dumont, le milieu a retrouvé de l’influence. « Ce n’est pas une question de niveau, mais de dispositions. Ici, avant, je ne jouais pas le football que je veux jouer. Il ne me permettait pas d’être à mon niveau. D’ailleurs, quand j’allais en sélection, je performais. »
M’Changama et l’Estac vont donc mieux (le lien n’est peut-être pas un hasard...). « On remonte petit à petit la pente, un club comme celui-là ne peut pas végéter dans les dernières places. » Et Troyes, est-ce une ville où il se voit rester après sa carrière? « Je suis quand même attaché à ma région. » De toute façon, sa fin de carrière n’est pas à l’ordre du jour. « Je n’y pense pas encore car j’ai commencé sur le tard, j’ai encore faim, je me sens bien. Mais je m’imagine bien rester dans le monde du foot, c’est ce que j’aime. Sûrement que je passerai mes diplômes d’entraîneur. » Une autre difficulté, que Youssouf M’Changama saura certainement surmonter.